L’interruption visible
(présence de Georg Trakl)
nous ne reviendrons plus de ces arbres d’hiver
frangés de brume, ces gravières blanches où s’élève
et meurt le sens
comme un don de l’aube
ainsi le givre le froid les nuages
partout dans le ciel la mort peinte
*
La haute matinée froide
Le vif argent des peupliers
sous les torchères de silence
ô vision pure
sans cesse par nos larmes
[...]
La même poussière jaune soulevée
simultanément l’appel sans bord du matin
absence de sol ou arrachement étymologique
*
dans cette trop grande
en vérité jamais dite
pensant au sommeil à la prairie gelée
à tout ce qui n’est pas dit et laisse égaré sans voix mourant sur le
rebord du monde (ce grand trou d’air où nous sommes) pensant à
ce désir secret qui retient de vivre
l’éclair l’arrêt qui illumine le bord de route la rive la rumeur
tremblante des peupliers chavirent dans l’élévation muette la
blanche envolée)
*
Ecrire reviendrait à rejoindre le jour
le jour (ce clair souffle tremblant)
mot que ne recouvre pas la durée
*
fragment
unique lueur
pluie douce
de tout ce qui tombe
[...]
des délabrements de voix étouffés dans
à présent je voudrais qu’il pleuve
à présent je voudrais ne pas
sans refuge, la terre soudain déserte et nue
là où la phrase traverse les décombres
là où le paysage s’interrompt
[...]
qui n’a pas commencé à parler
qui se plaint tout doucement
qui dit je suffoque entre ces murs trop blancs
je n’en peux plus de tout ce blanc de tout ce temps
je n’en peux plus de tant attendre
[...]
Elle frôle les marches de grès sous la lumière abrupte de juillet
glisse légère à travers les ocres les ombres brûlées les terre de
sienne pour descendre encore plus loin laissant derrière elle la
grande embrasure blanche la terre verte l’après-midi s ans recul
sous le poudroiement de l’été
[...]
Lisant d’une voix blanche où vibre lentement une nostalgie
désespérante, comme à bout de force, comme à bout de
souffle, comme si retenaient seulement ce bruit, ce souffle.
*
Ecrivant peut-être toutes ces années durant pour retrouver
ce vertige, ce rêve, cette plainte, faiblement ce souffle.
*
Le livre efface le temps, cendres.
*
A la fin la poésie elle-même emporterait.
Là où rien ne peut finir.
*
plus bas et encore plus près de moi c’est la terre et le cogne-
ment douloureux de l’abandon
*
cette pluie fine et silencieuse tombant en douleur muette sur
le paysage immobile.
Patrick LAUPIN, Le jour l’aurore,
Texte liminaire de Mathieu BÉNÉZET (1946-2013)
REVUE ACTUELS,Editions COMP’ACT, 1987,
p.34,35,37 à 41,43,47,67 à 68
La plupart des oeuvres de Patrick LAUPIN sont rassemblées à la Rumeur Libre.
Poster un commentaire
Vos informations
(Le nom est obligatoire. L'adresse email ne sera pas affichée avec le commentaire.)
Commentaires